Ateliers cartographiques autour du projet Abbaye

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urban-inclusion

Par: Louise Carlier, Simon Debersaques, Marine Declève, Sarah Van Hollebeke, Pauline Varloteaux, Roselyne de Lestrange

1. Le site de l’Abbaye

Anciennement infrastructure religieuse, l’Abbaye de Forest est aujourd’hui dans un état avancé de dégradation, souvent considérée comme sous-utilisée bien qu’elle accueille différents usages et usagers. Elle est au cœur d’un processus de rénovation qui vise à la convertir en « pôle culturel », rassemblant différentes associations et institutions culturelles actuellement dispersées sur le territoire communal de Forest. Ce processus de rénovation s’étend, via d’autres financements (CQD, CRU), aux espaces alentours. C’est ainsi tout un « quartier » (Saint-Denis), tout un territoire qui est engagé dans différentes dynamiques de transformation.

L’espace concerné suscite un certain intérêt de recherche pour différentes raisons. D’une part, il représente un « laboratoire » ou un « microcosme » de Bruxelles : certaines problématiques régionales s’y conjuguent à plus petite échelle. Il est un lieu de cohabitation d’une pluralité de groupes socio-économiques et « ethniques », le quartier de l’Abbaye présentant le même caractère cosmopolite que Bruxelles. Il peut aussi être considéré comme un lieu de friction entre une économie industrielle – présence d’Audi – et un processus de post-industrialisation, tournant l’économie urbaine vers les activités de service et de création. On y retrouve également l’enchevêtrement de politiques urbaines, d’acteurs politiques et d’institutions compétentes qui caractérise le système institutionnel et politique bruxellois/belge. Pour ces différentes raisons, cet espace soulève une série de problématiques qui ont d’emblée fait écho aux recherches développées par une série de chercheurs du Metrolab, qu’ils soient géographes, urbanistes, architectes, sociologues.

Pour les porteurs du projet de reconversion de l’Abbaye en pôle culturel (la commune), celui-ci a pour objectif d’être un véritable lieu de rencontre. Ce projet vise ainsi à « équiper le vivre-ensemble » (Thévenot) ou à « apprêter » l’espace à la rencontre (Stavo-Debauge). C’est sur ce point que la cellule Abbaye du Metrolab développe aujourd’hui un projet de recherche collective et interdisciplinaire, en s’interrogeant sur les modalités actuelles de ce « vivre-ensemble » ou sur les rapports entre les différents publics coprésents et cohabitants au sein de cet espace considéré.

2. Le projet de recherche

L’objectif de cette recherche est de parvenir à une compréhension plus fine de l’usage du site, de ses espaces publics et de ses équipements par les différents publics concernés par le projet de « pôle culturel » ; d’identifier les lieux de coprésence entre ces derniers, ainsi que leurs rapports (proximité, évitement, friction…).

Pour y répondre, la cellule Abbaye du Metrolab met en œuvre une démarche d’enquête qui s’appuie sur la mise en place d’ateliers cartographiques avec différents publics fréquentant le site et concernés par le projet : soit en tant qu’habitant du site, soit en tant qu’usagers des institutions culturelles que le site accueillera, soit en tant que public d’associations actives dans le quartier.

D’un point de vue heuristique, ces ateliers visent à ethnographier et cartographier les usages actuels du site et de ses espaces alentours, afin d’identifier les lieux de coprésence actuels et les rapports entre les différentes personnes et groupes cohabitant dans le quartier.

Cette recherche vise aussi à nourrir un questionnement mieux informé sur les implications des modifications de ces espaces par le processus de réalisation de projet. On rejoint alors un autre objectif de la démarche, soucieuse de ses implications pratiques et éthiques : ces ateliers sont l’occasion de faire valoir les voix des différents publics concernés par le projet et d’ouvrir le débat entre ces derniers, autour des questions des espaces publics et des modalités spatiales du vivre-ensemble. D’une part, ces questions ne sont aujourd’hui pas au cœur des dispositifs de participation mis en place par le porteur de projet ; d’autre part, les différents publics considérés y sont aujourd’hui peu présents. Insistons sur le fait que la cellule de l’Abbaye ne cherche nullement à prendre un rôle de « facilitateur » : là n’est pas notre expertise ; on ne prétend nullement intégrer l’ensemble des publics de manière exhaustive ; enfin, on ne cherche pas non plus à engranger un processus de compromis ou de consensus, tâche du politique. L’enjeu est plutôt de soulever des points de controverse ou de tensions aujourd’hui latentes et d’expérimenter une démarche de recherche susceptible de nourrir le débat sur les politiques et les projets urbains.

3. Les ateliers cartographiques

Cette démarche s’appuie en premier lieu sur la rencontre avec différents acteurs liés au site au projet de pôle culturel (le BRASS, la Maison des Jeunes de Forest, l’Académie de musique, le Cairn et Omar Khayam, l’Eglis, etc.). Cette rencontre est consacrée à un premier entretien visant une meilleure compréhension des publics avec lesquels travaillent ces organisations, des activités associatives/culturelles qu’elles mettent en place dans le quartier, et des relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres. Elle vise également l’identification des personnes-relais pour l’organisation des « ateliers cartographiques » rassemblant une petite dizaine d’usagers.

Au cours de ces ateliers, les participants sont invités à « dessiner et réciter le quartier », à parler du lieu tel qu’ils le vivent, le perçoivent ou se le représentent à partir d’une page blanche. En nous inspirant des travaux de la géographie subjective, nous prenons la carte comme un outil de communication et de médiation capable d’embrayer la parole et de produire un langage collectif. Nous pensons aussi que la carte, lorsqu’elle ne se limite pas à rendre compte de l’espace matériel et qu’elle s’écarte des formats habituels de la cartographie, est susceptible d’enregistrer les dimensions perceptives et sociales du territoire concerné par le projet. Par cette méthode, l’enquêteur invite les participants à s’exprimer librement par le dessin et/ou par des mots écrits sur leurs usages quotidiens du territoire en projet, à la fois individuellement et collectivement. L’objectif de chaque atelier est la mise en commun des connaissances afin d’aboutir à la production collective d’une carte présentant, sur base d’une légende commune et partiellement élaborée in situ, les différentes fonctions (détente, logement, travail…), qualités (ennui, dégout, attraction, aisance, …), temporalités (jour, nuit, fréquence, durée…) et formes topologiques (frontière, ouvert/fermé, axe, sorties, accès) du site considéré. Les commentaires et récits élaborés sur base de cet outil seront enregistrés et retranscrits.

L’objectif final est d’animer un débat public autour des différents usages du site avec les participants et les porteurs de projet, à partir d’une présentation des résultats de la recherche qui pourra prendre la forme d’une exposition des cartes collectives, des photos et des récits recueillis sur un mode qui soit le plus accessible possible. Un reportage est par ailleurs réalisé parallèlement à cette recherche par un étudiant de l’Ecole de Photographie Agnès Varda (Bruno Dias Ventura), afin de rendre visibles les différents publics coprésents dans le quartier à partir de leurs espaces de vie quotidienne. Ces différents documents constituent des témoignages des usages actuels de l’Abbaye et, de par l’exposition des points de tensions, des divergences de perceptions, d’expériences, ils sont susceptibles d’ouvrir le débat sur les évolutions possibles du site, les nouveaux usages désirés et ainsi servir d’appui critique à la réalisation du projet. Ce moment serait une manière de croiser les regards et les points de vue des différents groupes sur les formes de cohabitation actuelles et sur les modalités par lesquelles apprêter un espace et un équipement au « vivre-ensemble ».

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