Abstract
Cette note de recherche présente les étapes méthodologiques d’un atelier de co-design mené dans le cadre d’une collaboration avec Médecins du Monde pour la conception des locaux du futur centre socio-sanitaire intégré de Cureghem, un des projets FEDER bruxellois de la programmation 2014-2020. Une sélection des résultats provisoires est également présentée.
Mots clés: Architecture - Co-design - Centre de soins - Soins intégrés - accès aux soins
Par: Maguelone Vignes et Marco Ranzato
1. Contexte et objectif
Dans le cadre de la mise en place du CSSI de Cureghem, Médecins du Monde (MDM) et le consortium de partenaires porteurs du projet ont souhaité mettre à profit les savoirs et pratiques existantes des professionnels pour concevoir les espaces intérieurs du futur centre. La livraison des locaux étant prévue pour 2020, un cahier des charges devait être validé par le Conseil d’Administration en décembre 2016 pour être transmis au promoteur du bâtiment (City Dev), et pouvoir procéder à l’appel d’offre pour la réalisation des travaux dans les locaux du centre. MDM a sollicité l’appui du Metrolab pour la conception des locaux du futur CSSI prévus rue des Goujons à Cureghem. L’objectif pratique du travail de terrain était donc de détailler la composition du centre et les effets attendus de l’espace pour chaque salle envisagée, ainsi que les interrelations entre les salles et la circulation des différents publics et professionnels dans les espaces. Cet objectif pratique a permis l’exploration de questions de recherche méthodologiques sur le co-design et théoriques sur l’écologie urbaine : métabolisme urbain à travers l’exploration des flux de personnes, rapport à l’espace à travers la forme spatiale d’un lieu de soin et son insertion dans le tissu urbain. Nous présentons ici un aperçu brève du déroulement et des résultats de l’atelier de co-design que nous avons proposé dans ce cadre. Cet atelier, découpé en 3 séances de 3 heures, a rassemblé des représentants de patients et des professionnels dont les métiers seront inclus dans le futur centre et ayant une expérience du travail intersectoriel dans un lieu de soins commun 1.
2. Processus
Sont présentées ici les grandes étapes du travail, qui s’est déroulé en 4 groupes, composés d’acteurs issus de différents secteurs 2.
Séance 1 - Travailler sur des situations existantes pour aiguiser le regard des participants sur l’espace de soins et son influence sur le travail qui s’y déroule
Etape 1 : visite de terrain dans un centre de soins existant Chaque groupe a visité un centre de soins existant, sélectionné en fonction de ses caractéristiques architecturales et de son activité pluridisciplinaire. Chaque participant a reçu un road book à compléter individuellement lors de la visite. Ce road book était conçu pour rendre compte des perceptions des participants en les structurant en trois points d’attention préétablis : l’organisation de l’espace, la circulation dans l’espace (flux, mobilité, point de stationnement) et la matérialité des lieux (mobilier, couleur des murs, éclairage, atmosphère générale ressentie).
Etape 2 : mise en commun des groupes Les groupes se sont réunis deux par deux dans les locaux du Metrolab. Via le récit, les notes et dessins pris sur les road books individuels, chaque groupe a restitué « à chaud » à l’autre groupe ses observations et réflexions, tout en appuyant sa description d’un croquis collectif du centre visité. La réalisation du croquis était conçue pour engager les participants à se projeter concrètement dans le lieu pour en saisir la complexité.
Etape 3 : points d’attention Chaque participant a reçu des étiquettes portant les signes « + » ou « - » à apposer sur les plans afin de symboliser ce qu’ils jugent positif, intéressant, ainsi que les bonnes idées/pratiques à retenir, et à l’inverse, les points négatifs ou plus problématiques observés dans les centres de santé. Chacun pouvait également inscrire un adjectif significatif sur ses étiquettes, puis était invité à expliciter ses choix et son ressenti aux autres participants.
Séance 2 - Identifier les besoins des usagers – travailleurs et patients – et les enjeux importants pour chaque pièce et l’agencement des pièces en imaginant l’espace idéal pour un centre intégré.
Etape 1 : exercice individuel Il a été demandé à chaque participant de réaliser sur une feuille A3 un croquis de son CSSI idéal à l’aide de cartes symbolisant des types de salle communément retrouvés dans des centres de soins pluridisciplinaires. Il lui était loisible d’ajouter des espaces supplémentaires s’il le jugeait nécessaire. Un second jeu de cartes comportant des qualitficatifs (séparé, hygiène, convivialité, discrétion,…) étaient à sa disposition pour décrire les espaces créés en les apposant aux endroits visés. Les participants étaient ensuite invités à dessiner les flux de circulation et les points de stationnement puis à réfléchir à 3 mots caractérisant l’espace final. Enfin, chacun a présenté sa création aux autres participants de son groupe.
Etape 2 : exercice collectif Chaque groupe était appelé à construire un plan commun d’aménagement de locaux pour une structure de services intégrés en utilisant le même matériel que pour l’étape 1. Il lui a ensuite été demandé de placer sur son plan des flèches et des points pour signifier la circulation, le sens des flux, les lieux d’immobilité et les points de stationnement. Enfin, chaque participant devait placer le mot de son choix parmi les étiquettes disponibles sur le lieu de son choix. Le groupe devait également choisir un mot commun pour caractériser son plan.
Etape 3 : mise en commun Afin de susciter la réflexivité des participants, les groupes ont exposé leurs travaux autres autres groupes sur le modèle du « world café » : l’animateur reste à sa table et les membres des groupes circulent et commentent les plans qu’ils observent. Les participants étaient amenés à interpréter les plans, en demandant d’éventuels compléments d’information à l’animateur. Ensuite, chaque personne a pu placer sur les plans des points d’attention positifs « si on fait cela c’est intéressant parce que… » et négatifs « si on fait cela alors le risque est que… ».
Séance 3 - Travailler sur la composition et l’ambiance idéales de pièces typiques d’un centre de soins ainsi que de l’abord extérieur du bâtiment, pour connaître ce qu’on en attend spécifiquement.
Lors de cette étape, les participants ont été répartis en 5 groupes. Chacun d’eux a travaillé sur 2 pièces et la façade.
Étape 1 : travail sur l’atmosphère Trois cartons quadrillés et un jeu de photographies du paysage symbolisant des ambiances ont été mis à disposition des participants. Chaque carton représentait un espace de type plus collectif (salle d’attente, espace communautaire,…) ou plus individuel (cabinet MG, cabinet psy,…). Dans un premier temps, il était demandé au groupe d’attribuer une ambiance à chaque espace, en s’aidant du jeu de photographies.
Deux ambiances devaient être choisies collectivement puis agencées dans des proportions choisies individuellement sur chaque partie du carton. Dans un second temps, en repliant les cartons selon le quadrillage, des cubes « espace » ont été collés avec les photos situées à l’intérieur. Chaque groupe a réalisé un travail similaire pour créer un cube « façade », assemblé avec les photos à l’extérieur.
Etape 2 : travail sur l’organisation de les espaces types y compris le mobilier
- Espaces intérieurs Chaque groupe a d’abord identifié la liste des éléments fondamentaux et classiques à retrouver dans les espaces travaillés précédemment. Puis, chaque participant a choisi l’un de ces éléments pour le dessiner sur du carton bleu. Le groupe a ensuite positionné collectivement l’ensemble des éléments dans le cube. Ensuite, chaque groupe était interrogé sur les éléments supplémentaires que l’on pourrait trouver idéalement dans ces mêmes espaces. On lui demandait de suivre le même processus pour dessiner, découper et placer ces éléments (en vert), en explicitant les choix.
- Façade Pour le cube « façade », chaque groupe a reçu 3 feuilles A5 bleues et une A5 verte. Il lui était demandé d’identifier, dessiner, découper puis placer simultanément des éléments fondamentaux et idéaux (portes, fenêtre etc.).
Etape 3 : tour avec appréciations positives et négatives Chaque groupe a pu présenter son travail aux autres selon le principe du « World café ». Chaque participant, muni d’étiquettes «+» et «-», était invité à placer deux d’entre elles dans chaque cube afin de signifier ce qu’il trouvait intéressant ou non dans les conceptions des autres groupes.
Séance 4 - Présentation de tous les travaux au siège de MDM, présentation des résultats et discussion finale, avec évaluation des processus par les participants.
3. Résultats de l’atelier : agencer la complexité
Pour chaque élément de la structure idéale de soins intégrés, un ensemble de lignes de tension entre les effets attendus de l’architecture du bâtiment ont été mis en évidence. L’exploration a concerné en particulier les composantes suivantes de l’espace de soins : aspect extérieur du bâtiment (façade et intégration dans le tissu urbain environnant), entrée, accueil, salle d’attente, cabinet médical, cabinet psychologue/assistant social, cabinet infirmier/kinésithérapeute, espace enfant/cabinet Office de la Naissance et de l'Enfance (ONE), espace de travail collectif avec les usagers, espace communautaire ouvert au quartier, espace de détente réservé aux professionnels, espaces réservés à l’administration, jardin, toilettes, douches, autres locaux. Seuls les résultats relatifs à certaines de ces composantes sont présentés ici, à titre d’exemple.
Il est attendu de la façade du bâtiment qu’elle fournisse des compromis entre les caractéristiques suivantes : intégré/singulier, connu/inconnu, solidité/mouvement. Les participants ont souligné l’intérêt d’un bâtiment visible, identifiable, repérable, lisible, tout en étant en harmonie avec le tissu bâti environnant pour paraître accessible et appropriable par les habitants du quartier. Il doit s’intégrer visuellement, pour faire partie du quotidien des habitants.
L’aspect extérieur du bâtiment doit inviter à franchir la porte en attisant la curiosité par un aspect inconnu, tout en disposant d’éléments connus. Il doit dégager une impression de solidité et de stabilité pour exprimer la réassurance et la sécurité tout en incorporant un effet de mouvement – la promesse d’une utilité et d’une efficacité - qui indique que du travail s’effectue à l’intérieur de ce bâtiment.
La salle d’attente apparaît comme le centre névralgique du CSSI, par sa position de contact à la fois avec l’entrée/accueil et les salles de soins et d’accompagnement, les salles de réunion et celles réservées au personnel. Elle offre un sas de stationnement entre les flux vers l’entrée/sortie et l’ensemble des autres locaux du CSSI. Elle fait l’objet d’une attention particulière puisqu’elle contiendra pour un laps de temps donné des publics potentiellement différents comme des familles avec bébés venus pour les services de l’ONE ou des SDF et usagers de drogues.
Ainsi, il est attendu qu’elle soit globalement un espace mélangé, mais comprenant des aires dédiées à des usages particularisés (jeux pour enfants, point d’information,…). Comme l’accueil, elle doit être conviviale tout en garantissant la sécurité, être chaleureuse tout en indiquant à l’usager qu’il se trouve dans un lieu compétent et fiable, être calme tout en permettant le mouvement des différents publics et membres du personnel, être confortable tout en restant hygiénique (facile à nettoyer) et fonctionnelle.
La salle communautaire doit être située proche de l’entrée pour signifier l’ouverture aux habitants du quartier et afin qu’ils puissent se l’approprier. Elle doit évoquer l’harmonie, le bien-être et la sérénité. Les participants ont décrits un lieu pareil à un refuge urbain où la multiculturalité et les particularités de chacun puissent se rassembler autour un travail commun.
- <p>Les participants étaient informés du fait que la démarche avait pour objectif de jeter les bases de la conception du futur centre socio-sanitaire intégré de Cureghem. Ils ont imaginé ce centre dans le contexte urbain bruxellois qu’ils connaissent, sans que celui-ci corresponde forcément à la zone de Cureghem. <a href="#fnref1:1" rev="footnote" class="footnote-backref">↩</a></p>
- <p>On trouve une description du processus complet dans le rapport de Bénédicte Scheens (Scheens, Bénédicte, Projet FEDER CSSI – Volet recherche architecture, Médecins du Monde, 2017).  <a href="#fnref1:2" rev="footnote" class="footnote-backref">↩</a></p>